L’ouverture au recrutement des agents contractuels : les serrures sont en place, la distribution des clefs commence.

Date janvier 20, 2020

Le 8 janvier 2020, s’est déroulée à Bercy la traditionnelle cérémonie des vœux des ministres aux agents. Discours brillants pour un exercice convenu. Les ministres ont salué l’énorme travail effectué en 2019 par les services dans le cadre des nombreuses réformes et des nouveaux chantiers en cours : les agents méritent effectivement bien ces remerciements, et particulièrement l’encadrement, de plus en plus soumis à la pression des objectifs sans avoir toujours les moyens adéquats.

Parmi l’ensemble des interventions et eu égard aux multiples sujets abordés, nous ferons ici un focus sur l’un des volets de la loi de transformation de la Fonction Publique mis en exergue dans son discours par la nouvelle secrétaire générale de Bercy, madame Marie-Anne Barbat Layani. La secrétaire générale salue globalement les opportunités proposées par cette loi en termes de gestion RH et précise même que le secrétariat général a anticipé la mise en œuvre de ces nouveaux outils. Parmi ceux-ci, il y a le recrutement simplifié et massif de contractuels au sein de l’Administration. Elle a notamment déclaré : « […] La possibilité de recruter des agents contractuels, y compris sur les emplois de direction, […] nous incitera à travailler sur l’enjeu clé de l’attractivité de Bercy en tant que recruteur et employeur. C’est en effet un levier indispensable de la continuité de notre action et de notre rayonnement dans un univers renouvelé. Nous devons faire des efforts pour rester attractif, pour attirer les talents et pour les conserver […] ».

Pour rappel, le nouveau décret est effectivement publié : décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’Etat ; décret formalisant la procédure de recrutement des agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents

Ecouté de manière enthousiaste et sans trop y réfléchir, l’argument du recrutement d’agents contractuels semble et sonne donc comme la panacée et la nouvelle arme ultime des RH pour moderniser l’Administration et l’adapter à la nouvelle société, le « nouveau monde », « l’univers renouvelé ».

A dire vrai, et en y réfléchissant un peu, nous n’en sommes pas si sûr, surtout en ce qui concerne la manière de traiter les agents cadres et les encadrants en poste dans « l’ancien monde » que nous sommes, du point de vue du déroulé de notre carrière, que nous soyons fonctionnaires (encore en majorité) ou contractuels.

Avant de développer nos incertitudes, il nous parait utile de rappeler que la CFE-CGC ne s’est jamais opposée au principe de recrutement des contractuels dans l’Administration, comme nous l’avions écrit dans notre profession de foi pour les élections professionnelles de décembre 2018 : « de manière complémentaire et harmonieuse, dans le respect du statut et lorsque les compétences ne sont pas disponibles en interne ». Cependant, voici les effets pervers de la mesure que nous identifions :

o Les cadres et les encadrants fonctionnaires vont avoir de plus en plus de difficultés à trouver de nouveaux postes. Par exemple, les attachés, intéressés à renouveler leurs compétences, auront de moins en moins la possibilité de prendre de nouvelles fonctions, pour l’exercice desquelles ils devront avoir un temps pour se professionnaliser. On leur préférera un agent contractuel immédiatement opérationnel. Ceci est déjà constaté dans les faits.

o L’Administration se dirige de plus en plus vers un fonctionnement en mode projet : la réorganisation de la DGE en est une répétition générale à Bercy. Le recrutement de contractuels est parfaitement compatible avec le mode projet : on embauche pour un projet donné et lorsque celui-ci est terminé, on met fin au contrat de l’agent. C’est bien plus confortable pour l’Administration.

o On constate déjà et souvent des inadéquations entre les compétences requises et les niveaux de salaire proposés aux contractuels. L’Administration cherche des compétences de senior et propose des salaires de junior. Elle n’attire donc pas obligatoirement les véritables talents et ne pérennise pas la compétence, les agents contractuels partant rapidement vers d’autres horizons plus favorables dès qu’ils ont complété leur curriculum vitae d’une ligne prestigieuse.

o L’Administration se dépossède de son savoir-faire. Alors qu’elle professionnalisait il y a encore quelques années ses agents, particulièrement dans les fonctions support, elle diminue, voir supprime sa compétence interne, voir sa capacité de gouvernance sur ces fonctions, en la confiant à des agents qui seront de toute manière appelés à quitter leur poste dans un délai plus ou moins court.

o De véritables questions d’éthique et de déontologie peuvent se poser avec le recrutement de contractuels. Par exemple, dans la fonction achat, un acheteur contractuel recruté, entre autres, pour sa connaissance du marché fournisseur quittera l’Administration avec sa connaissance parfaite du client Administration. Ce qui pourra grandement aider à son réemploi dans le secteur privé. Est-on sûr de la solidité des protections mises en œuvre par l’Administration pour pallier à cela ?

o D’une vision syndicale, on peut constater que les directions de centrale qui emploient une proportion importante de contractuels posent beaucoup plus de problèmes en termes RH que des services avec une majorité de fonctionnaires. Cela n’est pas lié aux contractuels eux-mêmes, bien sûr, mais au mélange de statuts et d’intérêts différents. Le management se complique souvent. Par exemple, les fonctionnaires se retrouvent dirigés et évalués par des contractuels qui méconnaissent complétement les principes des carrières publiques. La multiplication des statuts (agents du corps d’origine + PNA + contractuels) est une aubaine pour l’Administration car c’est un fractionnement des intérêts, donc une individualisation, voir un isolement des agents face aux décisions de leur manager. Les dysfonctionnements globaux des services sont socialement plus difficiles à réguler.

o L’emploi de contractuels pour les postes de direction va mathématiquement réduire les débouchés pour les fonctionnaires de catégorie A+, alors que la situation est déjà compliquée pour eux.

o Si les fonctionnaires sont recrutés de manière égalitaire et exigeante sur la base de concours, il n’en est pas de même pour les contractuels, recrutés sur leur profil. Il faut souhaiter que la qualité des procédures de recrutement s’améliorera pour accompagner le développement du recours aux contractuels. Nous avons pu effectivement constater dans le passé des recrutements inopportuns liés à une absence de contrôle suffisant dans la procédure de recrutement, avec trop peu d’exigence à la clef, voir la place laissée à l’arbitraire par le recrutement dans les réseaux ou même les copinages.

o Enfin, on peut dire globalement qu’il est presque outrecuidant de dire que les talents sont ailleurs, hors de l’Administration : les fonctionnaires sont sélectionnés par concours pour leurs capacités, formés pour exercer leurs fonctions et évoluer vers d’autres, à condition bien sûr de les accompagner.

On devine bien en fait la vraie raison de cette ouverture sur les agents contractuels. La loi de transformation de la fonction publique est mise en place pour flexibiliser l’emploi des agents publics. Ce seront des contrats à durée déterminée qui seront proposés, avec la mise en place d’une individualisation des rémunérations et des parcours et, in fine d’une précarisation bien plus importante. Il s’agit pour l’État de se débarrasser du « stock » et de ne plus gérer que des « flux ». L’évaporation naturelle liée à la pyramide des âges des fonctionnaires va beaucoup l’y aider. Mais il est certain que les agents fonctionnaires encore actuellement en poste vont vivre de plus en plus difficilement leur déroulé de carrière, dans une organisation publique dont le fonctionnement sera de moins en moins adapté à leur statut.

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