Loi de transformation de la Fonction Publique : le dialogue social enterré

Date février 27, 2020

Nous avons déjà examiné ici deux volets de la loi de transformation de la Fonction Publique (concernant les contractuels et la rupture conventionnelle, voir les éditoriaux précédents) et mis en exergue les conséquences potentiellement néfastes pour les agents. Nous allons aborder ici un troisième volet, essentiel, qui concerne la nouvelle organisation du dialogue social, présentée comme plus stratégique et efficace par ses instigateurs ; mortifère à notre sens.

Eu égard au rôle désormais assigné aux organisations syndicales dans le cadre des CAP, on peut légitimement douter du renforcement de celles-ci dans la défense des situations individuelles des personnels. L’idée de laisser plus d’autonomie aux gestionnaires nationaux et locaux dans le cadre des mutations et demain des promotions a pour corollaire un affaiblissement du rôle des syndicats dans l’examen des situations individuelles (mutation et promotion). Il n’est pas certain que les syndicats sortiront renforcés car les adhérents étaient très en attente d’un suivi personnalisé dans le cadre des CAP, qui désormais verront leur rôle limité aux décisions individuelles défavorables les plus « complexes ».

Dans un pays où l’on reproche la faiblesse des syndicats, notamment en raison du nombre d’adhérents, la loi de 6 août 2019 s’apparente à une abrogation du droit des syndicats dans la défense de la situation individuelle des fonctionnaires. Il semble paradoxal de vouloir renforcer le dialogue social et simultanément de réduire le rôle des principaux acteurs de celui-ci ! Désormais, en cas de désaccord sur une affectation ou une promotion, le fonctionnaire devra faire appel au médiateur, et en cas de persistance du litige, au Tribunal Administratif. On voit mal l’action véritable de ce médiateur lorsque l’affectation « au profil » sera prononcée… On connaît également les délais d’attente au Tribunal Administratif (1 an 1/2 en moyenne) et enfin, il convient également de rappeler qu’une réforme de 2017 oblige désormais le fonctionnaire à recourir à un avocat pour défendre sa situation personnelle devant la Cour Administrative d’Appel. Ce dernier aspect viendra décourager les intéressés qui hésiteront à mener une action incertaine, longue et coûteuse.

La loi du 6 aout 2019 met également à mal une notion essentielle au sein de la fonction publique, à savoir celle de la hiérarchie des grades, puisque à compter de 2022, les CAP organisées par catégorie (A, B, C) examineront les questions disciplinaires. Ainsi, un attaché d’administration pourra se prononcer sur une question disciplinaire visant un attaché hors classe, voire un administrateur civil, ou encore, un inspecteur des finances publiques pour une question visant un AFiPa de la DGFiP. C’est un fondement même de la fonction publique qui est ainsi totalement bouleversé.

Les gestionnaires nationaux et locaux devront quant à eux se professionnaliser en matière RH et devront changer totalement d’approche dans la gestion des personnels, car les notions de profil, de compétence et de situation personnelle prennent le pas sur la notion d’ancienneté et notamment d’ancienneté administrative. La gestion des personnels devient stratégique et pour les responsables, le risque sera fort d’enfermer les agents dans des secteurs d’activité « métier », d’en faire des « spécialistes à vie », et ainsi  de mécontenter leurs collaborateurs. Cette réforme conduira donc à une responsabilité accrue des gestionnaires sur le volet RH. Cette dimension sera essentielle dans le pilotage des services, notamment dans une période difficile de réduction des effectifs.

A la CFE-CGC, nous avons parfaitement conscience de ce tournant et de la pression qui pèsera sur les gestionnaires RH. Nous espérons que cette situation contribuera à mieux prendre en compte le volet humain dans la gestion des personnels et nous faisons confiance à nos collègues encadrants pour que cette réforme révèle de réelles capacités de management RH. A défaut, c’est la démotivation qui touchera l’ensemble des services et les mauvaises politiques RH seront vite débusquées.

Par ailleurs, la gestion au profil ouvre une porte sur la fin du recrutement par concours. Pourquoi continuer à utiliser cette méthode de recrutement, coûteuse (organisation des concours, formation dans les écoles, etc.) si le fonctionnaire ainsi recruté doit encore soumettre sa candidature, via un CV, une lettre de motivation, au filtre de son supérieur hiérarchique pour occuper un poste ? C’est dire que le recrutement, la formation dans les écoles, n’atteignent pas leurs objectifs. Dans ce cas, autant effectuer directement le recrutement sur contrat ! C’est ce qui se profile à moyen et long terme.

Nous vous proposons une fiche technique (lire ici) reprenant les références juridiques de ce volet.

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